Bouillon de Godefroid (et des autres)

Or how to deal with (polemic) heritage and public space

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Bouillon de Godefroid (et des autres)

Or how to deal with (polemic) heritage and public space

Year: 2020

Status: Archive

Program: Whatever

Location: Brussels, Belgium

Une proposition “satellitaire”

 

Nous réagissons à l’appel public et lancement d’un groupe de travail sur la présence des symboles coloniaux dans l’espace public dans et par la Région de Bruxelles-Capitale, initiative qui nous semble impor­tante et nécessaire. Elle s’inscrit dans une actualité et contexte Black Live Matters, qui aura eu entre autres mérites de lancer des réflexions de fond sur le sujet. Nous avons attentivement lu l’appel à candidat.e.s pour ce groupe de travail et apprécions à ce stade ses belles intentions et travail sur la durée, bien au-delà de la stricte première émotion et révolte, compréhen­sibles et légitimes, mais non suffisantes.

 

Le document qu’on vous soumet ici n’est pas une demande d’intégrer ce groupe de travail. Nous sommes architectes. Nous sommes aussi ou surtout profondément concernés comme citoyens sur le vivre-ensemble, la lutte contre le racisme, le passé colonial et ce qu’on en fait. Nous pensons que le groupe à venir (10 à 20 membres) mérite d’être composé de personnalités dont le profil, engagement, histoire,.. soient plus pertinents que le nôtre au vu des enjeux. Nous nous imaginons un rôle plus satellitaire, comme celui imaginé dans votre appel : « les autres personnes intéressées seront associées d’une façon qui sera définie par le groupe de travail ».

 

Nous avions envie de partager dans le cadre, une proposition pour un lieu spécifique. Ou comme souvent sans doute en architecture, du « faire » pour nourrir le « penser ».

 

Une proposition spécifique pour un lieu spécifique, avec cependant une portée et symbolique bien plus générale, autour des figures coloniales (ou comme ici pré-coloniales, et donc de moments, croyances et idéologies qui y mènent, celui des Croisades en l’occurrence pour parler de celui qui nous occupe ici), autour de la question de ces statues et de leur maintien ou pas dans l’espace public, comment, les déboulonner ou pas, etc,.. Une proposition aussi autour de la pudeur, ironie mais aussi volonté ferme à affronter ces questions de (dé)colonisation quand on est blanc, du côté donc de l’oppresseur. Que faire avec cet héritage, tout en laissant l’espace – médiatique – aussi et surtout pour ce que peuvent en penser, écrire, dire, ressentir nos contemporains africains, afro-amér­icains, europo-africains, enfants de,…

 

La voici donc, en quelques lignes et images de principe, notre proposition bien au-delà de l’anecdote, des esthétiques, dispositifs ou mêmes personnages présentés à ce stade. La question de la (dé)coloni­sation est complexe et sensible. On a parlé longtemps des colonies, puis désormais – enfin, comme ici – des questions et processus de « décolonisation ». Plutôt que décoloniser (en soi un processus très valide, qu’on encourage et applaudit), on propose ici de « coloniser ». Non pas bien sûr dans le sens historique, géopoli­tique et hégémonique, de rapport inféodé d’un peuple par un autre,…. Mais dans le sens, plus animal et pour un instant volontairement dénué de toute charge politique, de groupe, comme dans « créer une colonie », comme pour les fourmis par exemple.

 

Une des définitions du mot « colonie » étant : Groupement de nombreux animaux de la même espèce vivant côte à côte de façon permanente, généralement sur un territoire fixe, et qui sont le plus souvent proches parents les uns des autres.

 

Ce que cette définition partielle ne dit pas, c’est que la colonie dans ce sens là comporte bien souvent une seule espèce animale, souvent même au détriment des autres, indésirés. La proposition ici est donc une colonie dans le sens du groupe, mais une colonie qui est volontairement hétéroclite, mixte. Cela étant, il n’y a, comme chacun sait, qu’une espèce d’humains, donc en réalité la « colonie » humaine proposée ici, dès lors qu’elle n’accueille pas de libellules ou de renards, répond en fait à la définition. Fin de parenthèse.

 

 

UN BOUILLON DE GODEFROID (ET DES AUTRES)

 

Le projet, sur la Place Royale, se concentre autour du personnage de Godefroid de Bouillon, qui y trône et qu’on exècre personnellement pour tout ce qu’il symbolise. Sa présence fière sur son pied d’estale nous énerve à chaque passage sur la place, tellement il renvoie à ce qu’on déteste, « propager la bonne nouvelle », ce qui revient – dans son cas notamment – à envahir des territoires étrangers et tuer ceux et celles qui ne sont pas d’accord, merci le monsieur et le symbole…

 

Mais plutôt que de strictement le déboulonner et le jeter dans le canal – préférer la critique à l’oubli -, on propose de le descendre de son socle, de le mettre au niveau de la rue, à notre niveau donc. Le réinstaller sur la place donc, mais cette fois sans estale. Ensuite, proposer un débat et discussion entre ce monsieur et d’autres personnages, qui le questionnent, contrastent par leurs positions, leurs histoires, leurs importances historiques ou non, leur symbolique. Ce qui nous semble important est donc à la fois qu’on puisse effectivement parler d’un groupe (le nombre exact est discutable, mais au moins cinq à six figures ou plus, pour faire « colonie »). Les personnages exacts sont à ce stade de proposition tous et toutes encore modifiables, pour peu qu’ils et elles puissent refléter suffisamment de points de vues et appropriations fortes et multiples, en contraste et débat – virulent – avec ce que cette figure / statue entend représenter dans le Bruxelles d’aujourd’hui.

 

La liste et représentation précise des personn.ag.es est donc ici strictement indicative et ouverte à la réflexion du groupe qui se met en place ici (qui représenter, quelle matérialité exacte, sous quel angle, avec l’aide de quelles techniques, artistes, procédés,..). A ce stade, le photo-montage ci-dessous entend représenter l’idée et intention plus qu’autres choses, qui devront, le cas échéant, être développées plus tard. Sont représentés à ce stade dans cette proposition, et sans hiérarchie ni ordre d’importance :

 

00 Godefroid de Bouillon (descendu de son socle)

01 Lisa Simpson

02 Angela Davis

03 Ai Wei Wei

04 Muhammed Ali

05 Don Quichotte

06 Patrice Lumumba

07 Oum Kalthoum

 

L’enjeu du groupe (ici volontairement traité comme « colonie ») entend critiquer et mettre en tension, dans le débat public, le personnage historique polémique et solitaire, héros d’un autre temps.

 

L’enjeu du déboulonnage, ici embrassé sous l’angle de la « suppression du pied d’estale » et de la confron­tation d’homme à homme, d’homme à femme,.. à la vie de la cité. Le tout est ici de manière volontairement critique et mordant, ironique aussi, mais certainement pas potache ou « drôle » (car ça n’a rien de drôle). Le message clair, optimiste et complexe est celui de la pluralité des voix et des comptes que ces personnages et pans de l’Histoire doivent à présent rendre au monde actuel, à l’Histoire telle qu’on la racontait et qu’on doit la raconter différemment, de manière complexe et critique. Du procès plutôt que de la guillotine. Du pardon peut-être, pas forcément, de l’oubli jamais. No Justice No Peace.

 

Merci pour votre attention !