A+ 294 – Lessines, ville à la campagne

a text by Stephane Damsin on the jury and selection of a Cellule Architecture competition in Lessines

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A+ 294 – Lessines, ville à la campagne

a text by Stephane Damsin on the jury and selection of a Cellule Architecture competition in Lessines

Year: 2021

Location: Lessines, Belgium

 

Quand j’entends le mot culture, je vois des champs, des bœufs, une alouette, … *

 

Lessines, petite « ville à la campagne » située dans le Hainaut, sur la limite linguistique, traversée par la Dendre qui s’en fiche, dispose d’un centre culturel niché dans un ancien Hôpital, Notre-Dame à la Rose. A peine plus loin, dans une des rues principales, un ancien moulin abandonné et ses annexes, lui font de l’œil : le centre culturel souhaiterait s’y agrandir et bénéficier d’une salle de concert et d’un café-théâtre. Ce qui a fait l’objet d’un concours chapeauté par la Cellule Architecture.

 

Dans cette ville à la campagne, on peut s’enthousiasmer de trouver de l’urbanité campagnarde, de la ruralité urbaine. Surréaliste ? Lessines l’est un peu, associée à deux figures marquantes de ce mouvement : Magritte, qui est y né et qui a donné son nom au centre culturel dont il est question ici, et l’écrivain, poète et ami Louis Scutenaire, qui y a vécu et dont on parle trop peu. « Ne parlez pas de moi, je suffis à la tâche », anticipait-il. Parlait-il aussi de cette ville, elle qui est joliment désuète, comme suspendue dans le temps ?

 

Quand on pense au modèle suburbain du pavillonnaire, qui n’a jamais été et ne sera jamais ni ville ni campagne – ni rien d’autre -, on se dit que le caractère quelque peu suranné qui fait Lessines est plus actuel et pertinent que jamais, à l’heure de repenser nos territoires.

 

Le Centre Culturel propose depuis trente ans rock des villes et rock des champs, pour public averti venant de loin et pour le voisin venu pour l’ambiance. Le projet de café-théâtre d’une part et de salle de concert pour 650 personnes d’autre part entend répondre aux différents besoins et publics. En face du très beau site classé du couvent-hôpital, qui date du Moyen-Age, est situé, à front de rue, le Moulin Williame. S’il n’est pas classé, ce lieu abandonné mais important dans l’imaginaire local se situe à l’emplacement d’un ancien moulin seigneurial déjà renseigné en 1089. Le site est à réhabiliter, de même que la parcelle arrière s’étendant le long de la rivière. Dans cette condition ville/campagne si inspirante, le rapport au paysage sera fondamental. C’est une des ambitions du concours, qui traverse les propositions des équipes.

 

Qui comprend invente*

 

D’un point de vue des choix d’implantation, c’est l’équipe de Matador qui va le plus loin, dans les champs. Ils proposent un nouveau bâtiment au cœur du paysage pour la salle de concert, ce qui permet un traitement du site du Moulin Williame forcément plus léger et à ce titre positif vers le centre historique. La nouvelle boite au cœur du paysage quant à elle ne convainc pas, ni dans l’envie de lien souhaité entre le café-théâtre et la salle, ni dans la tension entre ville et campagne, qu’on vient déforcer avec ce choix d’implantation, d’un bâtiment ou navire par ailleurs un peu perdu dans cette campagne, sans vrai ancrage.

 

Si les autres équipes s’implantent toutes dans le périmètre du Moulin, elles le font avec des intentions et manières distinctes : Pierre Hebbelinck propose une nouvelle salle comme un objet architectural qui se veut lisible en soi et plutôt autonome des bâtiments avant d’une part, des nouveaux espaces d’articulation au centre d’autre part. Le travail d’accroche vers le centre historique et la Dendre est précis, juste et même ambitieux, de part une proposition hors périmètre mais pas hors sujet de parvis-pont sur la rivière, plutôt séduisante. L’objet salle un peu « ovni » dans le fond du jardin ne convainc guère, ni dans son expression formelle, ni dans le peu de souplesse d’usages qu’impose le dessin. Dommage, ça commençait plutôt bien côté ville.

 

On peut saluer également l’exercice que tente l’équipe de Mamout dans une volonté de conservation et restauration « maximale » des éléments existants, en ce compris les ruines d’une des tours de garde des remparts du XIIIème siècle. Ces choix génèrent un projet qui, vu depuis son élévation le long de la Dendre, semble juste, intégré tant côté ville que côté campagne, élégant. Hélas, choisir c’est renoncer. Et la ruine conservée ne permet pas à la salle proposée derrière de se développer dans des proportions ni relations suffisamment qualitatives, ni vers l’arrière du site et la campagne, ni pour son fonctionnement à l’intérieur: la salle est trop étroite, ne propose rien vers l’arrière, se connecte au reste du projet par des couloirs peu qualitatifs. Dommage, car il y avait ici aussi une certaine promesse.

 

Restent les deux propositions les plus compactes, qualité qui se révèle être un choix assez juste ici, plus que jamais. DVV installe un grand volume en intérieur d’ilôt, sorte de double hangar ou vaisseau – agricole ? industriel ? – qui tente d’articuler l’architecture existante à double versant avec l’échelle plus grande de la salle de spectacle. Le positionnement de la salle est intelligent et les espaces résultants, entre les bâtisses existantes à front de rue et ce nouveau volume sont des espaces globalement positifs et plutôt qualitatifs, permettant autonomie et mutualisation entre le café-théâtre et la salle, même si tout n’y fonctionne pas encore. Si l’intuition du grand volume peut se comprendre, sa forme, ses découpes et organisation intérieure sont trop complexes et mêmes contradictoires ; le résultat est moins lisible que les intentions prises séparément.

 

Concluons avec le projet lauréat, le plus juste, celui de Dierendonck Blancke et Pigeon Ochej. Scutenaire aurait aimé, lui qui écrivait : « J’ai quelque chose à dire. Et c’est très court. ». Un projet soigné, compact, qui organise le café-théâtre vers la rue des Moulins et vers la Dendre et qui installe un grand volume un peu plus loin, positionné de manière à créer un foyer généreux dans ses proportions et ses usages potentiels, clairement ouvert sur la rivière et la terrasse qu’elle lui propose. Ce foyer est baigné de lumière zénithale, ce qui accentue et magnifie son rôle d’articulation entre les différentes bâtisses, celles qu’on rénove côté rue, et ce qu’on installe à l’arrière. La nouvelle salle cherche elle aussi des relations avec les toitures à double versant de Lessines et du Moulin. Elle le fait sobrement et intelligemment avec une toiture asymétrique qui est séduisante à la grande échelle du site tout autant qu’à l’échelle plus précise de l’intérieur de la salle, du second balcon et galeries qu’elle abrite côté public. Tout le projet semble maitrisé et en retenue, ni snob ni commun. Appropriable et fonctionnel, le projet apparait comme étant compact et pour autant généreux. Sur son flanc, la Dendre remonte vers le Nord…

 

 

Stephane Damsin, architecte

Membre du jury.

 

Toutes les citations marquées d’une astérique sont de Louis Scutenaire

 

 

Equipe lauréate :

  • Dierendonck Blancke – Pigeon Ochej Paysage

 

Equipes non retenues :

 

  • Atelier d’Architecture Pierre Hebbelinck – Atelier Paysage
  • Atelier De Visscher & Vincentelli – Eric Dhont
  • Mamout – Buur
  • Matador – Grue